Inspirée des Ateliers-monde, la première session des Enquêtes de paysages intitulée Quatre siècles de paysages numériques ? s’est tenue le mercredi 21 octobre 2015 au Musée de Grenoble, à l’occasion de l’exposition paysages-in-situ , présentée au Musée de Grenoble et au Musée Hébert du 19 septembre au 2 novembre 2015, et prolongée jusqu’au 18 janvier 2016.

en présence de : François Jullien (philosophe et sinologue), Guy Tosatto (directeur et conservateur en chef au Musée de Grenoble), Laurence Huault-Nesme (historienne de l’art, directrice du Musée Hébert), Jean Guibal (directeur et conservateur en chef au Musée Dauphinois), Daniel Bougnoux (philosophe), Michael Jakob (historien et théoricien du paysage), Maryvonne Arnaud (artiste), Philippe Marin (designer numérique, docteur en science de l’architecture), Joël Candau (anthropologue), Guillaume Monsaingeon (philosophe et commissaire d’exposition), Alain Faure (politiste), Henry Torgue (sociologue, compositeur), Luc Gwiazdzinski (géographe, directeur de l’Institut de Géographie Alpine), Philippe Mouillon (artiste)…

Animée par Chloë Vidal (philosophe et géographe), cette première Enquête de paysages propose de renouveler notre regard sur le paysage, de se demander « ce qui a fait paysage » à l’heure de la vie numérique,

paysage numérique  extrait de paysages-in-situ (2015) latitude : 45,182 / longitude : 5,696

 

En préambule à ce séminaire, le cinéma Le Méliès à Grenoble, a présenté en avant-première le dernier film de Patricio Guzman, Le bouton de Nacre. La séance, introduite par Bruno Thivillier, directeur du cinéma Le Méliès, est suivie d’une conversation entre Patricio Guzman, Yves Citton (philosophe, professeur de littérature française du XVIIIe siècle à l’Université Stendhal de Grenoble 3) et Philippe Mouillon. 

Ce film mêle à merveille poésie et politique en utilisant la nature de façon étonnante et magique : on y trouve des paysages peuplés d’immenses glaciers silencieux qui côtoient des fjords majestueux –témoins immuables du passé, mais aussi des océans tourmentés et des planètes perdues dans l’infini des cieux étoilés. Ces images d’une nature sauvage et primitive, filmée comme celle d’une planète oubliée qui serait presque intacte et vierge, nous renvoient à un monde des origines où, peu à peu, au travers des photos en noir et blanc d’Indiens « fueguinos », émergent les visages méconnus du peuple qui manque.

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Martin Gusinde « Esprits du rituel Hain »   photographie (entre 1918 et 1924)

« Ces indigènes habitaient depuis des milliers d’années en Patagonie. Ils appartenaient à plusieurs groupes (les haush, kawéskar, et sélknam) et ils parlaient des langues mystérieuses. Ils étaient des nomades de l’eau. Ils se déplaçaient en canoë d’île en île, guidés par les étoiles »  Patricio Guzman

Puis François Jullien développe à l’auditorium du musée de Grenoble une conférence animée par Daniel Bougnoux et intitulée « Vivre de paysages » : « Le paysage est une ressource à la portée de tous car elle n’implique pas d’apprentissage. Dès lors qu’il y a mise en tension, corrélation, singularisation, il y a paysage. Le fait que le paysage soit local et fasse monde, soit porté par une totalité, c’est important pour le sujet ; le paysage ouvre le local sur son dépassement, c’est un tout du monde ; c’est essentiel à l’expérience contemporaine. » 

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Gustave Doré « Lac en Écosse après l’orage » peinture sur toile (1875 – 1878) Collection Musée de Grenoble

 « En quoi un paysage est-il donc exemplaire de la diversité à promouvoir dans le monde à venir ? Mais d’abord en ce qu’il fait paysage, si ce n’est précisément que l’on passe de l’extension morne – uniforme – de l’espace à l’intensité d’un lieu ? Car plus il crée de diversité et, partant, de tension, plus un paysage s’actualise : un paysage est cet extensif. C’est donc exemplairement qu’un paysage fait passer de la connaissance à la connivence, il fait basculer dans l’intime et la complicité, nous habitant en même temps que nous l’habitons. Qui ne sait combien un paysage est ressource ? Qu’on y puise indéfiniment. Que, par sa tension, il nous réactive et nous harmonise à la fois ? » François Jullien

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Guo Xi « Début de printemps » Encre et couleurs légères sur soie (1072) Collection musée de Taipei

« Regarder une chose et la voir sont deux actes très différents. On ne voit quelque chose que si l’on en voit la beauté…A présent, les gens voient des brouillards, non parce qu’il y en a, mais parce que des poètes et des peintres leur ont enseigné la mystérieuse beauté de ces effets. Des brouillards ont pu exister pendant des siècles à Londres. J’ose même dire qu’il y en eut. Mais personne ne les a vus et, ainsi, nous ne savons rien d’eux. Ils n’existèrent qu’au jour où l’art les inventa. » 

Oscar Wilde Le déclin du mensonge (1928 page 56)