atelier-fragile

« atelier-fragile » est une méthode collaborative de travail d’échelle européenne dont l’objectif est d’enrichir l’observation en associant des points de vue culturellement différenciés d’artistes et de philosophes disséminés en Europe. 

« atelier-fragile » ne propose pas une recherche, ou une exposition classique mais un objet hybride, mutant, ouvrant des perspectives, des renversements de points de vue, produisant des fulgurances par l’association d’éléments hétérogènes. Il s’agit de construire une forme nouvelle, proche des logiques de l’hypertexte, c’est-à-dire riche de multiples niveaux d’entrée et de cheminements afin d’obtenir de nouveaux éléments de représentation de la mutation actuelle.

Après un premier atelier organisé à l’Ecole Sciences-politiques de Paris à l’initiative de Bruno Latour, l’exposition de Cologne, à l’invitation de plan-07, est la première présentation publique « d’atelier-fragile ».

Derrière la banalité du constat quotidien de la précarité sociale, « atelier-fragile » tente de repérer les dynamiques qui fragilisent plus discrètement des domaines de l’existence ordinaire jusque-là préservés. Du délitement des formes sociales stables, semble rayonner une force de désécurisation esthétique qui précarise crûment nos représentations du monde. 

C’est dimanche !

Pour cette exposition, Laboratoire a choisi d’inviter non pas des artistes, mais l’ensemble de la population de l’agglomération grenobloise à lui faire parvenir des photographies de ses plus beaux dimanches, non pas les plus belles photographies, mais les photographies d’un dimanche dont on aimerait garder le souvenir.

Cette collection photographique totalement aléatoire est présentée à l’état brut, c’est-à-dire sans que les contrastes, la luminosité, l’équilibre chromatique, le cadrage, l’imperfection éventuelle du tirage-papier ou du fichier numérique soient modifiés. Les images sont cependant agrandies dans un format uniforme afin de réunir en un ensemble non hiérarchisé des originaux d’une très grande hétérogénéité.

Le spectateur appréhende ainsi la singularité de chaque photographie et saisit des plans secondaires de l’image, parfois très riches, contribuant à approcher imaginaires et usages contemporains du temps libre.

Parallèlement à l’exposition en format unique au Musée de Grenoble, cette « collection aléatoire de photographies des dimanches » est présentée à l’échelle urbaine sur 70 panneaux d’affichages de 4 mètres par 3, disséminés dans l’agglomération.

 

lieux communs

Il s’agissait pour Maryvonne Arnaud d’aller à la rencontre d’un public nouveau, toujours aussi commun que celui de la rue, mais au fil d’un processus discret où le temps serait donné pour découvrir chaque détail, chaque incertitude ou hésitation du propos.

Installée dans un appartement d’un grand ensemble HLM, c’est une exposition en forme d’interrogation. C’est un appartement sans habitants, occupé par les objets de la vie quotidienne, figés, recouverts de housses en tissu, certaines immaculées, d’autres imprimées de photographies. Ces images envahissent aussi le sol et les murs, deviennent papiers peints et tapis.

Des images encombrantes dans un appartement encombré d’objets encombrants – comme le mobilier d’un déménagement qui ne trouve pas sa place dans un nouvel appartement car la présence des anciens habitants est encore trop prégnante, ou comme des objets au statut incertain, d’ici et de là-bas, présents et absents, matériels et symboliques, utiles et affectifs, que l’on aurait pris soin de protéger et de voiler.

Le visiteur de l’exposition peut s’installer dans l’appartement, toucher les meubles, ouvrir le réfrigérateur ou les placards : il entend alors d’autres sons que ceux du voisinage immédiat : les bruits des rues d’Alger, la rumeur des marchés, les conversations des appartements de Belcourt ou de Bab El-Oued, où se mêlent, inextricables, la langue arabe et la langue française.

 

 

 

répliques

répliques est une installation lumineuse et pérenne, conçue par Philippe Mouillon, qui puise son inspiration dans la tradition des jeux d’ombres et de lumières de l’architecture arabe, pour l’enrichir de l’imaginaire d’artistes contemporains originaires du monde entier.

Elle est située en plein cœur d’Alger, dans le ventre de la ville : le fameux Tunnel des Facultés.

Lorsqu’il pénètre dans le tunnel, à pied ou en voiture, le passant s’immerge dans une œuvre immatérielle englobant totalement sa perception. Cette installation est greffée sur le réseau d’éclairage public d’Alger, afin de s’allumer automatiquement et de composer ainsi d’heure en heure une mise en scène nouvelle.

Conçues par des artistes dont la recherche formelle et symbolique porte sur l’ombre et la lumière, ces graphies de lumière ont traversé la planète pour venir inscrire ici, dans le centre symbolique d’Alger, un imaginaire proliférant, à la fois singulier et universel. Les artistes invités sont Rachid Koraïchi, Daniel Laskarin, Farid Belkahia, William Kentridge, Gonçalo Ivo, Ene Kull, Ammar Bouras, Liz Rideal, Pinaree Sanpitak, Jyoti Bhatt, Richard Prince, Abderrazak Sahli, Meelis Salujärv, Gülsun Karamustapha, Ester Grinspum, Manisha Parekh, Denis Martinez, Rekha Rodwittiya, Sumi Wakiro, Lu Shengzhong, Nicola Durvasula, Adel El Siwi, Adlane Djeffal, Jacqueline Fabien.

Philippe Mouillon, Ester Grinspum,

Quelques ruses pour apprivoiser l’ombre

Répliques est dédié à l’homme de la rue, le marcheur infatigable du tunnel des Facultés.  J’ai passé tant d’heures à le regarder traverser le tunnel depuis ma première visite en janvier 2002, guidé dans Alger par Rachid Koraichi ! Tour à tour débonnaire, insouciant ou fourbu, parfois seul mais le plus souvent en grappes compactes et chaloupées, ce n’est jamais le même homme, la même femme qui s’immerge dans le tunnel, traverse le tube inscrit au plus intime d’Alger, pour réémerger au soleil quelques minutes plus tard. Cette expérience renouvelée paraîtra bien banale, mais il s’agit pourtant du tutoiement quotidien avec la ville souterraine, celle des fondations et des humeurs anciennes, la matrice des rêves, des ombres et des lumières.

Des lumières, justement ! Désormais le passant s’immerge pleinement en elles. Chaque traversée est pour lui une expérience unique puisque l’espace l’enveloppe jour après jour d’une manière nouvelle : chaque graphie de lumière a traversé la planète pour venir s’inscrire ici comme une égratignure ou parfois une eau-forte, s’inscrire là comme un tatouage ou comme une cicatrice. Car derrière chaque oeuvre, il y a comme un éblouissement, ce foisonnement du monde, cette diversité ivre du vivant, il y a un artiste à ce même instant quelque part dans le monde, et qui du Caire ou de Bangkok offre à Alger sa propre vision de la lumière, sa recette intime pour apprivoiser l’ombre.

Le Tunnel des Facultés est désormais un précipité d’imaginaires : voici pour le premier Opus (Octobre 2003) les cocktails d’ombres et de lumière d’Ammar Bouras, la geste éblouie de Rachid Koraichi, puis les génies majestueux, fragiles, incertains de l’égyptien Adel el Siwi, les ombres découpées de Gülsun Karamustapha, enfin venues de l’extrême ouest canadien, depuis l’île de Vancouver, les silhouettes ambiguës de Daniel Laskarin. L’Opus 2 (Mars 2004) associe la Brésilienne Ester Grinspum dont la batterie de casseroles semble joyeuse ou revendicative, William Kentridge qui colporte avec lui son monde d’errance perpétuelle, Denis Martinez enfin de retour au pays natal, Jyoti Bhatt plongé dans un imaginaire inscrit dans la forêt des temps, et enfin Lu Sheng-Zhong qui avec une étonnante simplicité résume l’érosion contemporaine des différences. Chaque oeuvre est là dans son unicité. L’une interpelle, l’autre rassemble, l’une s’envole, l’autre rythme et cadence le tunnel, l’une s’échappe, se dérobe, l’autre nous éprouve, l’une s’indigne, l’autre nous murmure…. Il n’y a plus une vérité mais cent histoires enchevêtrées, mille mondes insondables, vertigineux, à la démesure du monde présent.

D’autres Opus viendront ensuite, témoignant d’autres pratiques du monde, de ruses subtiles et fragiles émises depuis Johannesburg ou Vilnius. Ces images impalpables, dont la seule durée semble être celle de la persistance rétinienne, enracinent au cœur d’Alger une complicité quotidienne avec la lumière de l’autre.

Philippe Mouillon

Oeuvre originale de Meelis Salujärv

Oeuvre originale de Lu Shengzhong

Oeuvre originale de Jyoti Bhatt

Oeuvre originale de Rachid Koraichi

traversées

« traversées » tente de contribuer à un imaginaire contemporain de la haute montagne en instaurant un dialogue inédit entre la conquête du paysage montagnard par la marche, et le cheminement des mots, de la mémoire et des idées. Au fil de trois heures de marche, les images de Maryvonne Arnaud et les textes de Jacques Lacarrière,  Pascal Amel, Jacques Darras  et Hervé Planquois courent le long d’un sentier situé dans la vallée des Étançons, au pied de la face sud de la Meije. Cette traversée est une expérience du corps, durant laquelle nos souffles se confrontent et s’éprouvent à la permanence et à l’infini du paysage minéral. Le pas se mesure à la puissance d’un site naturel particulièrement grandiose, où la présence humaine est rare. Ce cheminement nous instruit sur cette limite de la présence humaine.

 

 

Extrait de textes originaux : Jacques Lacarrière

Cicatrices du sol, fils entre deux vertiges ou toiles de poussière entre deux horizons ?

Tracés par les milliers de pas des cheminants, ils sont voies d’aventure et réseaux de patience, miroirs et sceaux de nos efforts. Et sur chacun de leurs versants on peut lire partout l’ubac de nos fatigues.

Cheminer, ici, c’est ascendre. Côtoyer les nuages et surprendre le ciel en son intimité. Devenir voyeur d’azur et d’infini.

Au bout de ce chemin des cimes, je lis cette inscription : pèlerin des nuages, ici commence l’oratoire des vents.

Pérégriner : le plus beau verbe pour dire jadis le sens et le but du voyage. Pérégrin : le plus beau mot d’antan pour dire l’oblat et le pratiquant des chemins. Pèlerin : son double d’aujourd’hui, son frère en cimes et en vertiges.

 

Au terme de la montée, soudain et comme inattendu : le ciel. Pour lui, les monts s’écartent, les vallées s’incurvent, l’horizon se déploie. Et quel plaisir de sentir et savoir que là-haut, tout à l’heure, le ciel vous donnera audience. À condition que tout soit clair. En lui et surtout en vous.

Grandiose. Mot risqué, insolent mais qui veut dire au fond : oser ce qui est grand. Ici, la montagne a osé. À nous aussi, d’oser être grand, être haut. De nous mettre, le temps d’un essor, à l’école des aigles. D’apprendre comme eux à glatir dans l’azur. Glatir, la seule façon ici de parler aux montagnes.

Pierres amoncelées. Pierres éparpillées. La Terre elle-même jadis a dû choisir : rassembler ses enfants ou bien les disperser aux quatre vents. Enfants des quatre vents, les pierres des montagnes.

Sous la houle figée des versants, chaque pierre est balise immobile, écume pétrifiée de la mémoire des glaces.

Ayons toujours en vue l’humilité des pierres. Lourdes ou légères, denses ou friables, elles demeurent indifférentes aux joies, insensibles aux remords, étrangères à tout ressentiment. C’est pour cela qu’elles font partout cortège aux pentes comme aux gouffres, aux chemins comme aux cimes, aux neiges comme aux vents. Elles sont parures des solitudes et parements des altitudes. Demeurer où le sort les a jetées ou rejetées et résister au temps est leur unique but. Ayons toujours en vue la patience des pierres.

À la croisée des vents, il convient d’édifier pierre à pierre son havre et sa maison de certitude.

Cairns : bouées de pierre disposées tout au long des chemins d’éclairs et d’orages pour orienter et pour aider les naufragés de l’altitude.

Une à une, sur le socle nu des saisons, ces pierres déposées, distillées par le ciel, comme les stalactites de l’azur.

Je suis seuil et je suis chemin.

Je suis pierre qui dit l’horizon.

Je suis l’enclos des pas nomades.

Je suis paume où se lisent les lignes de l’ailleurs.

Trop loin. Trop lourd. Trop immobile. Roc ancré dans le sol, le sol inéluctable après les lendemains d’ivresse immaculée. Dépôt ou résidu d’un vertige glaciaire ? Débris ou déchet porté, emporté, transporté dans l’anonymat des moraines, et déporté dans les enclos du vent ?

Depuis des millions d’années, je gis. Orphelin du froid.

Lentes reptations des glaces qui avancent, oppressent puis se retirent. Et qui m’ont laissé là, témoin de leurs élans, de leurs désirs inaboutis.

Témoin aussi des griffes et des serres du vent : ces gerçures, cassures, vergetures, ces lézardes sur la peau fossile du temps.

Et maintenant, devenu nuit, livré aux ecchymoses des saisons, aux fantaisies du vent, aux érosions du temps, qui me délivrera du châtiment d’être immobile ? Qui me restituera la douceur erratique ?

 

Jacques Lacarrière