Troisième volet de Légende(s), « Ce n’est pas par soif que le crocodile sort du fleuve pour aller sur la berge lécher la rosée du matin » reprend le processus entamé en 1994 dans une banlieue française confrontée au racisme ordinaire, puis poursuivi l’année suivante en Bosnie-Herzégovine durant la guerre d’épuration ethnique.
Il s’agit de proposer quelques portraits photographiques réalisés dans différentes métropoles africaines à des écrivains originaires d’Afrique ou de la diaspora et vivant dans un éloignement géographique croissant depuis le lieu des prises de vue. À charge pour chacun d’aborder ces visages d’inconnus, d’en saisir l’insaisissable, l’incertain, l’illisible et de les légender.
Légende(s) aborde la fable de l’altérité, c’est-à-dire le processus d’affabulation épouvantable ou fasciné que produit chaque rencontre avec le visage de l’autre. Les récits intuitifs des poètes associés contribuent à débusquer les enfermements identitaires pour entrer en intimité avec l’étranger sans refouler le désordre, écarter l’incertain, clarifier, hiérarchiser. Les écrivains associés étaient Pius Ngandu Nkasham, Patrick Chamoiseau, Tanella Boni, Kangni Alemdjrodo, Ahmadou Kourouma, Jean Luc Raharimanana, Tierno Monénembo, Frédéric Bruly Bouabré, Mazisi Kunéné, Leila Sebbar, Aminata Sow Fall, Abdourahman Waberi.
Créée à Abidjan, cette exposition itinérante fut présentée à Dakar, Cotonou, Lomé, Niamey, Bobo-Dioulasso…
TEXTES ORIGINAUX :
Ici, dans le cercle de tous les vertiges, tu as marqué la présence d’une légende surgie des temps qui n’existent plus.
Puisque tu portes un calicot blanc traversé des fables initiatiques. Puisque sur ton front apparaît un signe imperceptible qui indique les versants des montagnes rêvées. Puisque le collier de ta barbiche blanche ramène la mémoire vers les bosquets interdits. Puisque ton regard…, mais pourquoi ne hurle-t-il pas dans la tempête, ton regard ? Mais pourquoi ne peuvent-ils pas exister, ces temps lointains ?
Pius Ngandu Nkashama
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Tout possible.
Mais le vivre déjà
compte semailles trop amères.
Et la joie innocente
suppute les fleurs tombées.
Patrick Chamoiseau
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J’ai vu mille choses de mes yeux-miroirs
J’ai entendu mille versions des exploits de mon homme
Dans les rues de la ville
Je ne sais plus où il a traîné ses vies multiples
D’homme du grand jour d’homme de la nuit
Des milliers de sourires l’accueillent à chaque pas
Je passe ma vie unique à l’attendre
A regarder le temps qui me gave me dévore
Au seuil de quelle demeure a-t-il ôté ses babouches
Je ne sais pas s’il sera là demain
Je travaille de mes mains du matin jusqu’au soir
Je tisse le pagne de son absence infinie
Mais ma peau de soleil ignore
La tristesse de l’absence la paresse de la présence
J’attends avec joie le retour du conquérant
Tanella Boni
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Rat des villes. Rat des villes shooté à “Santa Barbara” et “Dallas”. Villageois planétaire, évidemment. Coxeur. Apprenti-chauffeur. “Coiffeur diplômé de Paris”. Mécanicien d’enfer. Philosophe urbain. Dealer. Tireur du diable… sapeur. Don Juan. Inventeur. Soukousseur. Chair à canon. Imitateur. Machin vitriolique historiquement fiché, toujours ségrégué, Black is beautiful. Beautiful, jeune, et désenchanté. Black vit au cœur de la ville grise, l’interminable labyrinthe le long duquel s’allument et s’éteignent les phares de son improbable modernité. Black a l’air d’un taxi collectif abandonné en pleine autoroute, et qui attend son pétrole pour repartir butiner l’horizon des quadratures. Des millions d’années, déjà, qu’il attend. Alors, de temps en temps, il klaxonne et allume les phares du taxi en panne.
Kangni Alemdjrodo
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Nous sommes riches, trop riches en terres, en enthousiasme, en paroles, en danses. Trop pourvus pour devenir miséreux comme ils le prédisent. Ce n’est pas par manque d’eau que le crocodile sort du fleuve pour aller sur la berge lécher la rosée du matin.
Ahmadou Kourouma
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Au fond de l’abîme des amours, baigné de la senteur des tranquillités, je suis l’être en dérive qui attend d’échouer entre tes seins.
Jean Luc Raharimanana
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Ni Ponant
Ni Levant
Mais les failles d’un dos fouetté par les pluies
Les brûlures d’un ventre qui, croit-on, a fini de donner
L’amour d’une vie sèche par absence d’amour
C’est par-là qu’il faut aller le chercher
le charme délétère du soleil
Tierno Monénembo
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Cet homme ne serait pas “né” s’il avait su d’avance la réelle condition de cette terrestre vie. Sa tenue symbolisant la “civilisation européenne”, l’horreur qu’exprime son “visage” semble décrire irréfutablement la diabolique panique dans laquelle se déroule la “Guerre européenne”.
Légende(s) est une initiative débutée en 1994 à Echirolles, en banlieue de Grenoble, une cité confrontée à la coexistence difficile de communautés. Elle fut développée ensuite à Sarajevo, à l’heure de la logique délirante dite de l’épuration ethnique, puis à Abidjan et Dakar, ces banlieues du monde où la coexistence devenait inimaginable.
En élaborant Légende(s), Philippe Mouillon avait en mémoire ces images de presse de femmes tendant à des inconnus le portrait photographique d’un absent, mari ou fils, disparu dans les plis de l’histoire contemporaine, ainsi que cette phrase de Gilles Deleuze : ”Nous sommes toujours en situation de fabuler l’autre”
Il avait été témoin de ville en ville de ce voisinage quotidien de populations d’origine planétaire, et de l’urgence à penser cette proximité nouvelle.
Légende(s) est une forme-processus : dans un premier temps, Maryvonne Arnaud réalise des portraits d’habitants anonymes. Ce geste est habité chez elle d’une telle humilité et d’une telle détermination qu’il lui permet d’atteindre un degré d’intensité rare dans sa relation avec les êtres. Elle se positionne d’emblée avec eux, simplement. Sa photographie est frontale, le cadrage serré distingue chaque individu dans sa plénitude, dans sa singularité et le détache des signes sociaux inscrits dans son environnement ou dans ses vêtements.
Dix portraits seulement sont retenus, puis proposés à douze écrivains vivant en cercles concentriques d’éloignement croissant depuis l’épicentre constitué par le lieu de la prise de vue. Les tirages photographiques originaux remis entre les mains de chaque écrivain créent une intimité paradoxale, comme un album de famille d’une filiation inconnue.
Chaque écrivain s’appuie sur cette proximité avec ces visages d’anonymes pour légender les portraits. Tous les visages sont légendés par tous les écrivains : il en résulte une multiplicité foisonnante d’interprétations, multiplicité restituée par la suite en associant intimement les portraits reproduits à la taille réelle et leurs légendes.
Légende(s) organise soigneusement un amalgame entre la destinée du spectateur, l’expérience du monde de l’écrivain, et la réalité impalpable du sujet photographié. L’identité dans son acception ordinaire, enracinée, unique, parfois atavique, peut s’élargir et se diversifier. Légende(s) ouvre ainsi un espace de voisinage entre l’universel et le singulier qui autorise à élaborer une pensée de l’autre. Un autre qui n’est plus seulement l’étrange étranger, mais prend place enfin auprès des miens.
Arcos da Lapa est un site central de Rio de Janeiro, éternel mais oublié de tous…Cet aqueduc traverse la ville historique, une ville inquiétante, rebelle, étrangère au tourisme, surtout à la nuit tombée.D’une certaine façon, la ville traverse aussi l’aqueduc, apparaissant et disparaissant entre chacune des arches de pierre, rendant le monument presque impalpable.
Philippe Mouillon repère la puissance de ce site et propose à 150 artistes plasticiens de s’en emparer. Ils ont été choisis en coordination avec douze critiques d’art spécialistes chacun de l’art contemporain d’une région du monde, et porteurs d’une vision singulière de l’art d’aujourd’hui.
Le résultat est à l’échelle de la démesure de Rio : 150 aqueducs qui se développent nuit après nuit par vagues successives. 150 aqueducs imaginaires de 450 mètres de long qui s’inscrivent strictement au format de l’aqueduc réel, face à une foule qui tangue devant ce foisonnement d’images venues du monde entier.
IMAGES ORIGINALES :
COMMENTAIRE DE FRANK PAVLOFF
“Les colonnes coulent comme des fontaines ou jaillissent, les arcs et les voûtes s’effacent, gémissent, se gonflent, accouchent du vide, du plein et du délié. 150 visions du monde de mille mètres carrés se bousculent à la nuit tombée, mais au petit matin, les Arcos da lapa se sont figées. Reste alors un aqueduc, rien de plus, un écran ajouré. De toute éternité immobile au cœur de Rio.”
Frank Pavloff
COMMENTAIRE DE GEORGES GOYET
Une orchestration disphonique d’images
«Arcos da Lapa» est un aqueduc bâti en 1720, devenu viaduc à l’orée du vingtième siècle. Le jour, cet ouvrage d’art est, pour la vue, un barrage ajouré. Le paysage, l’horizon sont des pointillés au creux des arches, entre les piliers. Pour les habitants de Rio, le site est familier et semble avoir toujours été là. De n’y prêter peut-être plus attention, le lieu est devenu hors la vue, un champ hors champ du quotidien.
Et puis cette nuit de novembre 1996, renversement complet… Le viaduc, obstacle à la vue, troue l’obscurité et devient support de vision. L’écran qui cache durant le jour, donne à voir dans l’obscurité de la nuit. «Arcos da Lapa» est devenu un écran et un écrin insolites qui sautent aux yeux. Un écran sur lequel apparaissent des paysages, des horizons inconnus qui viennent à notre rencontre. Un écrin d’où jaillissent et meurent des étincelles nées de l’imaginaire d’une centaine d’artistes de la planète, nos contemporains. Ce rendez-vous de lucioles étranges marie l’eau et le feu, le feu d’artifice et la source. Par éclats, il constelle la nuit et nous ravit. Plaisir et désir de l’instant de surprise et d’émerveillement. Goutte-à-goutte, il offre son liquide précieux : le chemin et le temps qu’a pris chaque goutte pour venir sourdre une poignée de secondes sur la paroi de l’aqueduc ont été longs, très longs. Pour imaginer cette composition collective, Philippe Mouillon s’est appuyé sur la forme et la fonction de l’aqueduc. Cette composition prend sa force dans la parfaite adéquation que l’arche et les piliers réalisent entre la forme et le fond : relier deux points pour faire franchir le vide à une conduite canalisée. Ici réside le socle d’homologies et de métaphores que la production et la diffusion de l’œuvre empruntent ou génèrent. Et sur ce socle ancien se fonde un geste pertinent d’exploration de notre monde en transition.
L’activité singulière de Philippe Mouillon est assimilable à celle d’un fontainier. En effet, pour que nous puissions voir s’écouler toutes ces images, il a sollicité des sourciers – dix critiques d’art disséminés sur les cinq continents1 – de Vancouver à Séoul, de Rio à Paris… Forts de leur connaissance des champs de la création sur leur territoire, ceux-ci ont détecté des sources – les artistes. Il a ensuite proposé à chaque artiste la forme générique des Arcos da Lapa comme déclencheur-réceptacle pour leur imaginaire, leur vision et humeur du monde. En somme : repérage de sources, captage, canalisation et distribution. Le fontainier, en homme de l’art, a fait son travail d’architecte et de sculpteur de flux pour mettre ce précieux liquide généreusement à notre portée. Chaque artiste est présent par deux types de projections. Le premier est celui de sa proposition plastique. Le second est une sorte de cartel qui nous indique son nom, le lieu et la date de sa naissance, son lieu de vie actuel. Ces deux mises en lumière nous permettent d’accéder à la manifestation d’une vision du monde et à celle de sa médiation. L’art se manifeste à la fois dans la proposition plastique et dans sa médiation. En effet, ce voisinage constitue instantanément une juxtaposition de dimensions hétéronomes de temporalités et d’espaces, une combinaison entre visible et invisible. Il fait de ce rendez-vous de lucioles étranges une parade nuptiale de l’éphémère et des durées longues, du lieu singulier et localisé et d’espaces de mouvements planétaires. Pour chaque image, l’artiste et le spectateur ne disposent que de quelques secondes pour échanger une vue, nœud de points de vue. L’artiste et le spectateur, de façon différente, sont sollicités par l’espace géométrique fort des arches de l’aqueduc. C’est leur point de rendez-vous, de rencontre. À partir de, et sur cet espace géométrique visible, des espaces existentiels invisibles convergent, se télescopent, s’évitent ou se nouent. Quelques secondes offrent au spectateur des embrayages entre sa perception immédiate et sa mémoire. Un effet de surface sollicite la profondeur du temps et lui propose une sorte de travelling entre le passé et le présent pour «mettre au point». Et ces mises au point s’insinuent dans l’histoire du lieu et de ses habitants. Elles irriguent des terres et des mouvements en devenir.
Ce qui assure des franchissements dans la conduite de l’eau, puis des véhicules, devient un terminal d’images. À l’usage longitudinal du lieu pour la circulation de flux, se substitue pour quelques heures un usage «perpendiculaire». Le support de l’écoulement devient celui d’un coup d’arrêt. Il voit sa fonction habituelle de vecteur de passages se transformer en fonction d’obstacle-accumulateur. Et ce coup d’arrêt sur images, relance des mouvements de mémoires, d’imaginaires. Il engendre des altérations de façon de voir, de penser qui échappent à toutes canalisations, à toutes conduites. L’œuvre proposée est une «orchestration disphonique» d’images. Elle nous rappelle que notre vision du monde ne répond plus aux schémas d’époques plus achevées, plus stables. Elle reflète les mutations en cours. Elle ne s’autorise pas à fournir des formules qui permettraient d’élucider ce qui est en train de se produire. Devant nous, elle tente d’installer, quelques instants, le chantier du monde en émergence. La multiplicité et la diversité des images issues des univers de tous les artistes participants, la dissémination sur la planète de ces sources d’images désignent un atelier-monde qui participe à ce chantier. Cet agencement collectif pour la production et la diffusion de cette œuvre accueille le chaotique et le vertigineux de notre univers devenu mobile et changeant. Il est un indice qui tente paradoxalement de participer à la construction de visions partagées où «la contradiction, l’opposition ne sont plus le mal qu’il faut éliminer par les formules abstraites de l’ordre, mais le ressort même d’une vie qui exige sans cesse de nouvelles explications de la part de qui veut s’adapter pas à pas aux formes mouvantes que prennent les choses à la lumière de la recherche»2.
Georges Goyet
Chercheur au CNRS
1 Les critiques d’art associés étaient : Demosthenes Davvetas (Athènes), Fei da Wei (Paris), Sun Jung Kim (Séoul), Brahim Alaoui (Paris), Judith Mastai (Vancouver), Jean-Yves Noblet (New York), Mashashi Ogura (Tokyo), Virginia Whiles (Paris), Denise Mattar (Rio de Janeiro) et Nelson Aguilar (São Paulo).
L’Humeur du Monde prend place en 1993 sur une avenue d’Echirolles, une ville ordinaire de banlieue française. Le site est d’une banalité affligeante, mais pourtant si emblématique d’une certaine réalité urbaine : flux continu d’automobiles, présence piétonnière anachronique, juxtaposition disloquée d’immeubles, simulacre paysagé … !
Loin de nier cette réalité, Philippe Mouillon s’ancre dans ce territoire et le bouleverse: il installe 30 panneaux d’affichages routiers en alignement sur les 800 mètres du terre-plein central de l’avenue, puis 30 roulottes de chantier à droite et à gauche des voies de roulement. Il repère enfin 30 satellites géostationnaires quelque part dans l’infini du ciel. Le décor est planté, l’Humeur du monde va commencer!
Philippe Mouillon associe au projet 25 écrivains du monde. Ces écrivains sont, pour la plupart, des compatriotes des populations bousculées et entassées dans cet habitat de banlieue
Ce sont surtout des voies originales et puissantes. Nicole de Pontcharra, elle même poète, assurait le choix et la coordination des auteurs. Il s’agissait de Abdellatif Laabi, Sony Labou Tansi, Kangni Alemdjrodo, Tahar Bekri , Zeljka Corak, Florent Couao-Zotti, Gerty Dambury, Demosthenes Davvettas, Natacha de Pontcharra, Xavier Galmiche, Nedim Gürsel, Jacques Lacarriere, Koulsi Lamco, Eduardo Manet, Luis Mizòn, Wajdi Mouawad, Biram Ndeck Ndiaye, Jean Luc Raharimanana , Michèle Rakotoson, Eugène Savitzkaya, José Augusto Seabra, Leïla Sebbar, Kiflé Sélassié, André Velter, Marcel Zang.
À chaque écrivain, il est demandé de transmettre chaque jour par télécopie son humeur – non pas une chronique journalistique objective ou une analyse géostratégique, mais bien au contraire, sa rage, ses urgences, son amour, son intelligence du monde !
Par vagues de quelques mots ou de quelques lignes, les textes arrivent d’Alger, d’Istanbul ou de Dakar et sont immédiatement saisis en informatique, développés en feuilles de 4 mètres par 3, puis encollés sur les panneaux d’affichage routier.
Mais l’Humeur du Monde, ce sont aussi les saveurs des voix, des langues du monde entier captées depuis les satellites géostationnaires et qui portent en elles la trace des différents fuseaux horaires qui rythme au même instant la vie des hommes. Cette multiplicité sonore est captée puis amplifiée dans chaque roulotte de chantier, les transformant en d’étranges jukes-boxes urbains d’où s’échappe une polyphonie vocale planétaire.
La démesure de l’événement intrigue, attise la curiosité. Les textes sont si monumentalisés, parfois développés sur une dizaine de panneaux d’affilée, qu’il est alors nécessaire de marcher plusieurs centaines de mètres pour lire l’ensemble du texte, et cette expérience corporelle est troublante !
L’Humeur du Monde tisse un processus original de filiation car cette démesure force l’attention et invite à tirer d’abord quelques fiertés de la place de son compatriote, puis à lire d’autres voix, plus exogènes. Chacune d’elles me raconte non pas l’en-soi des événements, ce que font les médias jour après jour sans nous concerner, mais incorpore l’événement dans sa vie même pour me le communiquer comme essence de sa propre expérience.
Elle entre ainsi en dialogue avec ma propre expérience du monde.
Philippe Mouillon : L’humeur du monde prend sa source dans une petite coupure de presse annonçant la mort de Tevfik Esenç, le dernier homme à parler Oubikhs, le 7 octobre 1992. Ce paysan caucasien avait été invité au Collège de France, il y a quelques années, par Georges Dumézil pour parler sa langue, l’une des plus difficiles au monde – elle comportait 82 consonnes que croisaient seulement trois voyelles! La langue Oubykh a perdu dans l’indifférence son ultime locuteur après un lent processus entamé il y a moins d’un siècle quand les Oubouchs arrivèrent dans l’empire ottoman, furent accueillis par les Tcherkesses, et se déshabituèrent peu à peu de leur propre langue.
– En quoi cette disparition vous semble-t-elle exemplaire?
Philippe Mouillon : En ce que des ruptures fondamentales ont lieu sans éveiller notre vigilance parce que l’échelle de temps à l’oeuvre échappe à notre durée de vie propre. »On ne prête jamais attention aux événements les plus importants », écrit Milan Kundera dans le Livre du rire et de l’oubli. « On voit défiler les événements mais on ignore les raisons » précise Jean Luc Godard dans hélas pour moi.La mort du dernier homme à parler Oubikhs nous confronte à la disparition d’autres intelligences du monde que notre modernité méprise, ignore ou rejette. Elle est un indice parmi d’autres d’une mue nous arrachant d’une culture de sédentaire, d’une culture de paysans plurimillénaire et localisée au profit d’une culture de nomadisme planétaire.Nous nous arrachons, avec un sentiment de vertige, d’un paradigme rassurant mais partout en faillite, et transitons à tâtons vers un autre, encore bien opaque. Nos repères séculaires s’échappent. Où se joue aujourd’hui notre avenir ? Où devons-nous nous ancrer, nous relier, pour être nous-mêmes ? Que se joue de nous-mêmes à Sarajevo, Bruxelles, Tokyo, Tchernobyl, Alger…?Chacun ressent aujourd’hui, toutes classes sociales confondues, ce que les météorologues nomment « l’effet papillon », combien un battement d’aile de papillon à la bourse de Tokyo, à Tchernobyl ou à Sarajevo peut avoir des conséquences majeures pour soi-même ici, dans sa montée d’escalier, conséquences sur lesquelles nous n’avons que peu ou pas de maîtrise. Notre destin semble nous échapper et ce sentiment d’impuissance peut produire ce repli frileux, cette crispation identitaire dont nous savons déjà le devenir potentiel tragique.Félix Guatarri écrivait quelques jours avant sa mort l’automne dernier: « Il y a dans cette chaosmose actuelle, des carrefours de possibles qui se profilent, y compris le pire qui peut advenir, le pire par rapport auquel nos imaginations sont défaillantes. Ce qui est peut-être là l’enjeu, c’est d’inventer des caisses de résonance, des chambres d’enregistrement, des agencements d’énonciations au moment où tous les interlocuteurs traditionnels semblent avoir le souffle coupé ».
– Comment répondre à cette opacité dont vous parlez ?
Philippe Mouillon : L’une des exigences de nos sociétés individualistes de marché, c’est que les expériences restent la propriété de chacun: « j’te raconte pas » disent les adolescents d’aujourd’hui à longueur d’année ce qui ne veut pas dire « je pourrais t’en parler pendant des heures » mais bien ce que les mots disent : nous sommes chaque jour plus pauvres en expérience communicable. Walter Benjamin dans un texte intitulé « expérience et pauvreté » repère cet appauvrissement de l’essence de l’expérience et tente de trouver un sens à l’art dans la mesure de cet appauvrissement. L’humeur du monde crée un rapport original à la filiation en invitant l’autre à raconter, se raconter, me raconter. Et l’autre, de lointain devenant prochain, et me racontant non pas l’en-soi des événements (ce que font les médias jour après jour sans nous concerner) mais en incorporant l’événement dans sa vie même pour me le communiquer comme sa propre expérience, dialogue avec ma propre expérience du monde et établit avec moi qui l’écoute un rapport de l’ordre de la filiation.
– Comment inscrivez-vous votre intervention dans la rue et pourquoi le faire dans ce site précis ?
Philippe Mouillon : L’humeur du monde prend sa place sur une vaste avenue d’Echirolles en banlieue de Grenoble, possédant tous les attributs du paysage périurbain : flux automobile continu, présence piétonne presque anachronique, voisinage disloqué de centres commerciaux et d’immeubles… En ce sens, le site est exemplaire d’une urbanité construite sur la négation de toute singularité. Ce constat fut pour moi déterminant, d’autant que la complicité fut immédiate avec l’équipe d’ingénierie urbaine et culturelle de cette ville, un ensemble d’individus remarquables qui ont acquis la conviction qu’une réponse platement matérielle ne résoudra pas les maux qui minent ces espaces. Ces non-lieux, en nous confrontant à la perte de tout repère connu, nous angoissent si fortement que nous leurs faisons endosser les parts d’ombre, d’innommable, d’indicible de la société. Loin de dissiper la vérité du lieu, de nous en distraire, de nier le vécu de sa population, l’humeur du monde tente d’en amplifier les traits singuliers, de s’ancrer dans le territoire et dans son histoire.
Philippe Mouillon : L’humeur du monde compose un volume localisé, celui de l’avenue, dans lequel pénètre physiquement l’observateur en mouvement et un corpus illimité d’ondes radiophoniques réverbérées par une trentaine de satellites stationnant à quelques kilomètres de la surface terrestre, et un réseau d’individus singuliers inscrits territorialement sur les cinq continents. Le et est très important pour moi qui suis issu d’une culture occidentale du ou.
– Vous accumulez et articulez des temporalités multiples qui, paradoxalement, conjuguent intimité et éloignement, vitesse de la lumière et méditation?
Philippe Mouillon : Il me semble nécessaire d’ébranler notre expérience corporelle du temps et de l’espace. Nous vivons et conjuguons sans cesse des données transportées en temps réel du bout du monde et d’autres accumulées par 20 000 ans d’expériences locales. Fernand Braudel dans « L’identité de la France » explique que les zones géographiques d’utilisation de certains savoir-faire précis comme les couvertures de toits (qui sont là en ardoise, ici en tuile creuse…) révèlent les limites d’extension territoriale des armées romaines il y à 2 000 ans. Or, cet étirement démesuré, géologique, du temps coexiste avec une fragmentation extrême qu’étudie méthodiquement Paul Virilio lorsqu’il souligne qu’aujourd’hui » la seconde est la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l’atome de Césium 133 dans son état fondamental » mais je vous rassure, cette définition sera prochainement abandonnée puisque les recherches actuelles tentent de piéger le Césium à -273,15 degrés Celsius et en état d’apesanteur afin d’affiner cette précision par 1000 !
– Pouvez-vous nous décrire l’architecture acoustique de « L’Humeur du Monde » ?
Philippe Mouillon : De tous les continents sont captés et concentrés localement des sons et des mots. Les sons proviennent de fréquences radiophoniques plus ou moins lointaines, polyphonie planétaire relayée par des satellites géostationnaires sonorisant 30 abris mobiles de chantier comme d’étranges juke-box urbains. L’addition de ces fréquences différentes pour chaque abri, de ces langues multiples, de ces fuseaux horaires, de ces voix et de ces silences, génère un résultat acoustique variant selon l’emplacement du spectateur, sa vitesse de déplacement ou l’heure de son passage, mais variant aussi selon la mise en espace physique des abris de chantier, réinventée chaque matin.
– Et l’architecture littéraire ?
Philippe Mouillon : Les mots proviennent de 25 écrivains du monde, pour la plupart francophones, qui en dix mots, en dix lignes ou en dix pages interviennent sur le site par correspondance avec un texte original, poème ou prose, rendant compte de leur perception de l’état du monde. Chacun transmet son humeur vis-à-vis du monde, non pas une analyse géostratégique ou une synthèse journalistique mais son expérience intime du monde. Agrandis au format de 22 panneaux d’affichage routier puis installés en alignement sur l’avenue, ces textes sont encollés quotidiennement et confrontent le regard singulier d’un écrivain puis d’un autre aux quelque 30 000 automobilistes entrant chaque jour dans la sculpture.
– Comme autant de regards autres sur le monde ?
Philippe Mouillon : Face au regard de « l’autre », nous ne pouvons que constater le caractère limité, confus, souvent non pertinent de nos critères de perception, combien il y a ici, à deux pas, comme là-bas, aux confins de la planète, des regards sur le monde dont la nécessité nous confronte à une énigme. Cette énigme face à l’obscurité, face à l’ambigu peut ouvrir en chacun un processus de crise, de questionnement sur soi-même et, peut-être, un modeste processus de dialogue avec l’autre, même précaire, même fait de malentendus. Entendre, goûter, respecter la diversité, c’est prendre, in fine, confiance dans sa propre singularité.
TEXTES ORIGINAUX
Voici les tribus
Elles sortent de la poubelle de nos rêves
Et du désert gagné sur l’amour
Elles vont s’en prendre aux livres
Aux femmes, aux cerfs-volants
Elles vont saccager les jardins de l’enfance
Achever les mots blessés
Voici les tribus
Avec nos mains d’esclaves
Elles vont édifier de nouvelles pyramides
Une autre tour de Babel
Avant d’être frappées
Par la vieille malédiction des empires
Mon Dieu
Comme l’Histoire se répète !
Abdellatif Laâbi
Le vent travaille pour nous.
Il sèche le linge et transporte les paroles et les gestes.
Ainsi on sait, à des kilomètres à la ronde, que tu coupes du bois, que tu fends des bûches très dures avec une lourde cognée.
On sait, à des kilomètres à la ronde, que tu cloues le couvercle d’un cercueil. Tout le monde apprend peu à peu sur quel chemin tu marches.
On entend tes enfants. et le coq se manifeste partout.
Le vent nous mélange les uns aux autres car il transporte les cheveux, les fumées montantes et rampantes.
Tout le monde apprend quel jour ta voisine fait des crêpes, des beignets ou des gaufres.
Le vent nous lie et fait tinter les grelots et le rameau de buis contre l’arrosoir plein.
Le vent nous remplit de silence et de bruit. Le vent balaie la poussière et nous renvoie les songes anciens.
Le vent nous remplit de trouble et d’insomnie mais le vent aussi nous endort lentement ou avec la dextérité et la vivacité d’un prestidigitateur.
Le vent nous pousse au derrière et le vent nous arrête en pleine course
Le vent nous épluche et nous use.
Nous nous appuyons contre le vent car le vent nous préserve du vide.
Eugène Savitzkaya
J’agrandis
mon coeur
jusqu’à ton ventre
chaudement
chaque jour est pour nous jour lisible d’âme
et ce monde pourtant tordu condamne mon coeur à la vacance éternelle.
Je sens que l’hiver n’a plus de puissance sur ton endroit où l’âme brûlent tant de petits copinages.
Le temps halète sur les berges de ton grand ventre comme du velours
Demain
nous ferons l’amour avec l’insomnie et la lumière.
Seulement sache demain un trèfle boira l’orchidée et le ciel en sera rempli de sommeil.
Tous ces gens goulus délivrés de ta lèvre
demain
viendront boire tes dents
en feux
et ta bouche
et ton front.
Toi Shimonne
tu seras perpendiculaire aux petits matins
chantants d’amour, nue et livrée.
Tu seras perpendiculaire aux petits matins uniques
j’attendrai
la vague
et ta voix et tes yeux et le corail et ton odeur dure de femme férue
et ensemble
nous allons fustiger le grand complot où je te laisse pleurer d’amour.
Où je te laisse pleurer de baisers fumants.
Demain, comme tu sais sera le jour du déluge.
Sony Labou Tansi
J’aurais tant voulu vous oublier, menteurs
lorsque vous m’assuriez que la guerre était une chose mauvaise
qui devait disparaître pour que naisse la liberté !
Vraiment, enfoirés, j’aurai tant voulu vous casser la gueule pour vous faire connaître la guerre qui sévit en moi.
Enculés
Je vous insulterai longtemps encore,
jusqu’à ce que vous fassiez silence SILENCE ! Entendez-vous?…Enfants de putes !
Ecoutez-la ! La guerre !
Ecoutez comme elle est belle ;
Ne l’entendez-vous pas qui tombe ?
Ne l’entendez-vous pas dites-moi qui tombe entraînant avec elle la chute du ciel ?
Ne l’entendez-vous pas, misérables ?
Ecoutez ce que je vous dis !
La guerre…C’est la guerre…
Elle est belle…
Tout ces corps qui tombent
Et ces immeubles qui s’effondrent !… C’est la ville qui se met à genoux !
Un arbre explose !
Cela est si beau
J’aurais tant voulu oublier vos visages, menteurs.
Allez !
Retournez à vos larmes, connards,
Retournez à vos cigarettes sournoises,
Enfants de chiens !
Je ne crois pas en vous
Vous êtes les assassins,
Ceux qui camouflent leurs armes.
J’aurais tant voulu vous oublier, menteurs,
Lorsque vous m’assuriez de votre compassion…
Ahhh! Je vous étranglerai avec plaisir
Pour voir enfin en vous lueur humaine,
Lueur de vie, de survie,
Pour voir en vous la panique animale
Qui vous fera ressembler aux bêtes
Je vous étranglerai de mes dix doigts
En riant d’un grand rire
Pour vous faire goûter à ma haine
Qui est en moi, pour vous…
Vicieux ! Lubriques !
Vraiment, merdeux, j’aurais tant voulu vous oublier
Je vous étranglerai, car pour vous tuer, je ne peux pas faire autrement;
Je n’ai pas d’argent pour acheter une mitraillette et vous descendre…
Salauds ! Que je vous tirerai dedans, à grandes gorgées,
Lieux à l’identité niée, quartiers ravagés, villes ruinées, comme Prypriat déserte à quelques pas de Tchernobyl, les bas quartiers de Liverpool, les lisières du mur à Berlin, ou les villages de Croatie après “ l’épuration ethnique ” menée par l’armée serbe…
Ces territoires, Maryvonne Arnaud les parcourt à pied. Pas à pas, elle photographie simplement le sol à ses pieds en évitant toute ligne de fuite, tout effet de perspective. Un corps à corps s’installe, dans une longue solitude, entre le site et la photographe. Cette vue courte et plate, centrée sur le fond, comme l’est celle du marcheur observant le sol où il pose ses pas, condense derrière sa banalité apparente plus d’indices qu’une vue générale, inconsciemment organisée et codée par notre culture de l’espace. Chaque fragment photographique correspond à une enjambée. Il est ensuite reproduit à son échelle réelle, et juxtaposé aux autres, côte à côte, jusqu’à reconstituer le parcellaire du sol d’origine.
Une intimité paradoxale en résulte pour l’observateur : nous ne sommes plus l’habituel spectateur d’une représentation exposée dans un espace dédié, mais un témoin impliqué dans un espace dont les indices ressemblent à ceux de notre quotidien – une poupée, une chaussure de femme, quelques tasses à café…. Un témoin affecté, ébranlé par cet espace si lourd de menaces.
Corpus / Maison de village, Croatie (détail 40×60) 1992
Tchernobyl / École de Pripiat (détail 40×60) 1992
Tchernobyl / École de Pripiat (240×180) 1992
Marche et démarche, commentaire de l’écrivain et philosophe Danièle Sallenave :
Il y a probablement autant de dissemblances que de similitudes entre l’acte d’écrire et celui de photographier, entre la vision et la prise de vue, entre la démarche de l’écrivain et celle du photographe. Mais parfois on a plutôt envie de penser à ce qui réunit que de souligner ce qui sépare : or justement, ce mot de démarche, ou de marche, semble rapprocher le travail que nous menons actuellement, Maryvonne Arnaud et moi. Chacune a commencé de son côté, chacune dans un moment particulier de sa vie, naturellement. Mais tout à coup, voilà: il y a des similitudes évidentes, et elles frappent. Justement, j’y reviens, il y a ce mot plutôt abstrait : démarche, et son frère concret : marche. À eux deux ils tissent quelque chose entre deux parcours, d’écrivain et de photographe, ils rapprochent deux façons d’être, deux façons de progresser dans la représentation. Lorsque j’ai rencontré le travail de Maryvonne Arnaud, je sortais d’une longue période où je m’étais exclusivement dédiée à la tenue de carnets de route, ou de voyage, ou tout simplement quotidiens. Je m’étais seulement liée à cette exigence : les rédiger au courant de la journée, pas à pas, dans le moment de l’événement, et non comme un brouillon ou des notes erratiques. M’efforçant à la rigueur stylistique, à une vraie continuité de développement. Comme elle dans ses images. De sorte que je me suis trouvée, sans l’avoir cherché, absolument “en phase”, comme on dit de deux phénomènes physiques, avec les photographies de sol qu’elle avait faites à Tchernobyl ou Dubrovnik. Lorsque nous en avons parlé, à son initiative, nous avons découvert que la marche n’était pas une occasion, un hasard, ou une circonstance, que c’était au contraire la base et le rythme de notre expérience vécue, le point de départ de sa mise en forme écrite/visuelle. Naturellement, les objets sont différents, les résultats aussi, tant est forte l’incidence formelle de la technique. Autant il est loisible à la photographie de respecter ce découpage, ce morcellement du temps vécu, autant il est difficile à l’écriture de ne pas s’échapper, de ne pas se porter, se déporter, invinciblement vers l’imaginaire, le passé et le songe. Mais tant pis : marchant côte à côte, sinon exactement du même pas, la photographie et l’écriture peuvent faire, et nous l’avons fait, un bon bout de chemin ensemble.
Cela même que nous arpentons, commentaire du philosophe Philippe Lacoue-Labarthe :
Deux choses sont extrêmement difficiles à déterminer aujourd’hui :
– le statut de la photographie – quant à l’art – quelle que soit la qualité de la réflexion à ce sujet, depuis Baudelaire jusqu’à Walter Benjamin et au-delà (du moment où l’art occidental s’est soumis au dogme de l’imitatio, personne ne sait plus quoi faire de la photographie).
– Le geste artistique (Il est en perdition à la mesure de l’effondrement des «canons» esthétiques reconnus).
Maryvonne Arnaud me semble répondre à ces deux questions : elle photographie – des sols ; la probité est entière et le résultat impressionnant: c’est cela même que nous arpentons, sans la moindre tricherie. Ces sols ainsi photographiés – «objectivement»- sont ceux qu’un photographe désubjectivé peut prendre : geste minimal, compliqué d’une élaboration artistique. Là encore, j’y insiste, la probité est entière. Et c’est, au bout du compte, très beau.
Comme un enfant à naître, pour lequel les parents cherchent un prénom qui l’identifie et l’individualise, le nouveau centre de la ville d’Echirolles est alors en pleine gestation, mais n’entraîne pourtant pas l’intérêt des habitants.
À la demande des urbanistes de la ville, Laboratoire propose aux habitants, individuellement ou par équipes, d’inventer un nom pour une rue ou une place du futur centre-ville.
Sous la forme d’un fac-similé de plaque émaillée, des cartes postales sont distribuées dans toutes les boîtes aux lettres de la ville. Les habitants sont invités à renvoyer la carte après avoir inventé un nom sur le modèle des rues anciennes où la trace de la vie quotidienne demeure, comme une énigme à résoudre : rue vide-bourse, rue du cherche-midi, rue du ha-ha !
Chacun est invité à laisser libre cours à son imagination pour forger un mot de toutes pièces ou retrouver un vocable dont l’usage s’est perdu avec le temps. En participant au baptême des rues de la ville, chacun s’inscrit ainsi dans la ville, se l’approprie et la singularise.
Parmi les très nombreuses réponses obtenues, soixante-dix propositions ont été retenues puis reproduites en émail et installées sur le site du centre-ville encore en ébauche….