grand-magasin

« La métropole n’est plus qu’un paysage fantomatique, le fossile de sociétés passées où les techniques étaient encore étroitement associées à la transformation visible des matériaux et dont les sciences nous auront progressivement détournés…. À l’émergence de formes, de volumes destinés à persister dans la durée de leur support matériel, ont succédé des images dont la seule durée est celle de la persistance rétinienne ».

Cet extrait de L’espace critique de Paul Virilio éclaire parfaitement l’installation « grand magasin », conçue par Philippe Mouillon à partir d’un immeuble promis à la démolition par la spéculation immobilière.

En plein centre de Lyon, le bâtiment imposant ruisselle d’eau, comme une fontaine monumentale et provoque un trouble visuel. L’architecture en est déformée, épurée et recomposée sans cesse par les reflets, les éclaboussures et l’écume.

L’installation rehausse chaque fragment de la construction, comme un écrin liquide qui la protège, déjoue notre perception ordinaire de l’espace et nous force à relire la qualité de chaque détail, la volumétrie d’ensemble tout comme l’environnement proche. 

 

 

façades imaginaires

Désireux d’interroger les interférences entre l’identité locale et les imaginaires disséminés sur la planète, Philippe Mouillon propose un relevé scrupuleux des façades de la cathédrale de Grenoble à 150 plasticiens vivant aux quatre coins du monde.

Chacun des artistes est invité à interpréter cette surface originale avec sa propre culture de l’espace, à l’enrichir, la détourner ou la renverser. Cette interprétation est d’emblée incertaine car les artistes associés au projet vivent plus ou moins éloignés du site, dans un paradigme spatial et symbolique parfois radicalement différent de cette cathédrale située en Europe occidentale, ou encore dans une proximité bien réelle mais si évidente qu’elle en demeure non interprétée…

Les 150 œuvres obtenues sont ensuite photographiées puis projetées grandeur nature sur les 600 mètres carrés des façades réelles, très strictement ajustées à la volumétrie de l’édifice.

Cette rencontre entre inscription locale et imaginaires planétaires bouscule nos certitudes.

Nous sommes en 1989, le mot mondialisation n’est pas encore en usage, mais le changement d’échelle de nos repères territoriaux se fait déjà perceptible.

 

Rissa  Ixa

COMMENTAIRES  PIERRE GAUDIBERT / PIERRE RESTANY

La planète tout entière, enfin…

Pierre Gaudibert :

« Les Façades Imaginaires se veulent des rencontres urbaines d’imaginaires planétaires ! Sur la façade de l’église Saint-Louis, un monument du XVIIIe siècle situé au cœur de Grenoble, une opération tout à fait singulière va permettre de projeter des œuvres d’une centaine d’artistes contemporains accourus de tous les horizons du globe. Une nouvelle initiative de Laboratoire pour un art novateur d’événements plastiques, urbains et éphémères… »

Pierre Restany :

« Tout est là dans ce titre qui implique la référence fondamentale à l’auto-expressivité de la ville, à son immense potentiel de formes, d’images, de langage et finalement de poésie. Pour moi qui depuis plus de 35 ans me suis attaché passionnément à ce problème de la nature moderne, c’est-à-dire, de la nature urbaine, industrielle, publicitaire et médiatique, une initiative telle que celle-ci ne peut que combler mes vœux.  Qu’est-ce qu’une façade ? Les dictionnaires nous disent que c’est avant tout la face antérieure d’un bâtiment : mais à force de montrer tout ce qui est devant, l’imaginaire s’empare très vite du reste de l’intérieur qui devient un dédale sans fin.

La façade est la plus stimulante des apparences. Elle est le tremplin à toutes les fantaisies de l’imaginaire urbain. L’imaginaire urbain est le bien commun à tous les citadins, à chacun d’y trouver sa part et à quelques rares d’y trouver une inspiration plus concrète ou plus originale. »

Pierre Gaudibert :

« Notre époque de crise et de transition incertaine se prépare à un gigantesque croisement d’imaginaires singuliers, un croisement qui permettra tous les dialogues, tous les échanges, puzzles, hybridations, mélanges, syncrétismes, symbioses, synthèses et finalement métissages.

Ces imaginaires ne sont ni collectifs, ni anonymes, ni tribaux ; ils sont l’expression d’individualités créatrices, enracinées ou déracinées, locales ou nomades, identitaires ou métisses, qui font la richesse diversifiée d’un monde en création. »

Pierre Restany :

« Le langage de la nature moderne urbaine a été illustré de façon exemplaire par les nouveaux réalistes européens qui ont su exalter la grande diversité des modes d’appropriation de ce type de réel. Les compressions, les accumulations, les  paquets, les décollages d’affiches lacérées sont autant de variations sur l’appropriation de l’imaginaire urbain. Et voilà donc qu’à 30 ans de distance, Philippe Mouillon retrouve cette thématique fondamentale et la remet à jour et à quel moment ? En pleine faillite de la société industrielle, en pleine condition post-moderne ! Le concept de façade imaginaire incarne les possibilités auto-expressives du folklore industriel urbain mais en même temps, il en transcende les apparences formelles au nom de l’homme et de sa  fantaisie imaginative. »

Pierre Gaudibert :

« Une partie capitale se joue ici : le double refus de la standardisation des cultures de masse dominantes et de la norme d’un «art international» uniforme, insipide et monotone. Le métissage n’est pas obligatoirement l’effacement des différences, mais peut devenir la création de nouvelles identités plurielles, un enrichissement de chaque individu et de chaque peuple. Il annonce le déclin de l’européocentrisme.

Le patrimoine artistique mondial en devenir, celui de demain, naîtra de telles rencontres qui iront en se multipliant. La planète tout entière, enfin… »

Télécharger cet entretien entre Pierre Gaudibert et Pierre Restany

 

façades de papiers sensibles

L’église du village de Péage de Roussillon domine la vallée du Rhône depuis des siècles. Lieu de mémoire, c’est un de ces ancrages identitaires communément partagés par tous, dont la fonction symbolique n’est cependant plus interrogée par l’épreuve de la vie quotidienne.

Maryvonne Arnaud s’en empare en 1987 : depuis un camion à nacelle, stationné quelques mètres en avant de la façade de l’église, elle réalise durant plusieurs heures un ensemble systématique de prises de vues de détail : au total, 110 images d’un format sensiblement d’un mètre carré, réalisées frontalement et sans lignes de fuite, qui reconstituent intégralement la surface de la façade.

Mais la rigueur de cette prise de vues systématique ne masque pas les absences du photographe. Elle en révèle au contraire les pertes d’attention, les remords, les errances spatiales, amplifiées par l’épreuve physique que constitue cette longue confrontation.

Les fragments sont ensuite reproduits grandeur nature puis greffés sur un réseau de câbles assemblés et tendus devant la façade réelle du bâtiment.