Pas de trois

Maryvonne Arnaud, Alain Quercia et Philippe Mouillon seront en résidence de recherche et de création à l’invitation de Jun Yano Présidente du ZUTTOSOKO Art Center, situé dans la province de Fukoshima afin d’Interroger et représenter les sols,

La plupart des langues européennes conservent dans leurs structures l’empreinte de mots d’origine latine, comme autant d’indices d’interprétations anciennes du monde. Si ces interprétations ont été conservées dans les grammaires occidentales au fil des siècles, c’est évidemment parce qu’elles demeurent toujours actives, nous apportent une consistance utile à nos perceptions et représentations quotidiennes. C’est le cas par exemple du mot Humus, qui désigne la couche superficielle du sol, issue de la décomposition des matières organiques, par l’action combinée des animaux invertébrés, des bactéries, des champignons et par l’alternance des cycles climatiques. L’Humus désigne les sols vivants, fertiles. Or l’étymologie de ce mot est commune avec les mots Humanité, Humain, Humilité, ce qui signifie symboliquement que le sol constitue notre terreau nourricier, mais qu’il forme aussi la matrice de l’humanité, notre fonds commun sans lequel nous ne pouvons déployer nos vies, nous socialiser et nous humaniser.

Mais cet entretien des sols et cette transmission soigneuse d’une génération à la suivante semble aujourd’hui rompue. L’exploitation sans vergogne des sols et leur maltraitance généralisée, atteint évidemment à Fukushima un sommet, mais elle est emblématique d’un système mondial suicidaire, amnésique ou distrait, qui engendre l’effondrement des équilibres écosystémiques nécessaires à la préservation de l’humanité et menace l’habitabilité du terrestre. Les terres vivantes deviennent chaque jour plus rares et précieuses.

Interroger et représenter les sols sera notre méthode commune d’approche pour questionner et recadrer nos vies, les situer à leur juste mesure dans le temps long de l’humanisation et dans les dynamiques enchevêtrées du vivant. Mais nos approches seront divergentes et joueront à se surprendre mutuellement, à se compléter ou s’enchevêtrer.

 

Récupérons l’espace public maintenant !

Alors que la résistance ukrainienne renverse à Kiev la statue dédiée à l’amitié entre les peuples russe et ukrainien, des artistes et intellectuels roumains se demandent comment renouveler radicalement la présence artistique dans l’espace public de Bucarest.

Ici comme ailleurs, le rouleau compresseur de l’imaginaire marchand domine l’espace public, mais la ville est un palimpseste complexe composé par les imaginaires byzantins puis orthodoxes, les occupations austro-hongroises puis soviétiques, la fréquence des tremblements de terre, l’état d’abandon des bâtiments dont les propriétaires ont disparu lors des catastrophes du XXe siècle, et aujourd’hui par l’eldorado débridé de l’économie mondialisée.

Dans ce contexte, sur quelle légitimité s’appuyer ? Comment prendre en main sans attendre ? Comment régénérer l’espace public en l’ouvrant à des initiatives transversales ? Comment partager les différences d’interprétation du monde ? Comment contribuer à l’autonomie des individus ? Comment revivre ? Comment accueillir les pensées dissidentes, les poétiques, les innovations sociales ?

L’initiative portée par Edmond Niculusca (ARCEN) et soutenue par l’Institut français de Bucarest réunit les artistes Pisica Patrata, Dan Perjovschi, Cristian Neagoe, l’architecte-urbaniste Monica Sebestyen et l’ancienne ministre de la Culture Corina Suteu, experte internationale en politiques culturelles innovantes et Philippe Mouillon.

Le travail du lieu

  • multitudes – revue politique artistique philosophique, publie ce printemps 2022 son numéro 86 intitulé Le territoire, une affaire politique
  • Territoire ! Le mot claque comme un drapeau, il est adulé ou soupçonné. Son double pluriel, les territoires, est phagocyté par la campagne électorale. Qu’en est-il de cet objet politique ? Ce numéro tente de l’objectiver, de l’extraire des catégorisations pour donner à voir ses diversités, ses interdépendances, sa profondeur historique, ses ressources. Les agirs spatiaux comptent, et gagneraient à orienter l’action publique et les formes démocratiques. « L’esprit des lieux » inspire l’artiste, définit les milieux à préserver, imprègne nos affects. On vit tous « l’effroyable douceur d’appartenir ».
  • En réponse à cette invitation, Philippe Mouillon développe dans ce numéro l’idée que le travail du lieu est simplement un travail de passeur qui facilite les résurgences de temps et leur acclimatation sociale :

« Le poète, l’artiste, le jardinier ou l’architecte (et tant d’autres, habités de temps profonds) peuvent travailler un lieu en assemblant soigneusement une certaine qualité d’air, de lumières, de vents dominants, en dosant les minéralités, en synchronisant la rencontre entre des individus, une époque, des temporalités et l’enchevêtrement des écosystèmes terrestres… afin de cristalliser une humeur, une atmosphère impalpable, une intensité particulière qui nous porte et nous invite à vivre. 

D’un site à l’autre, mais aussi d’une époque à l’autre des sociétés humaines, d’une étape à l’autre de notre existence propre, les lieux forment la matrice de notre sensibilité et de nos comportements. Ils sont lieux plutôt que rien en ce qu’ils nous apaisent, nous consolent, nous consolident, nous rassemblent, nous relient, nous grandissent. Ils s’inscrivent en rupture avec l’uniforme simplifié de l’abstraction territoriale pour ouvrir en nous un présent décanté de l’instant, où les présences et les absences demeurent, entrelacées sans fin ». 

 

Le précaire, questions contemporaines

local.contemporain 04 / 80 pages / éditions le bec en l’air

Textes de Bruno Latour, Yves Citton, Janek Sowa, Stefano Boeri, Lionel Manga, Henry Torgue, Daniel Bougnoux, Philippe Mouillon

Images de Maryvonne Arnaud.

Chroniques sonores de Laurent Grappe

 

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Nous n’avons pas réellement la géographie mentale qui correspond au monde dans lequel nous vivons aujourd’hui… C’est de ce constat du philosophe Bruno Latour échangé lors de notre première rencontre qu’est né le désir de rendre visibles les mécanismes d’interprétations et de représentations d’un réel qui s’échappe. Cette fragilité des mécanismes de représentation du monde, paradoxe d’une société si gourmande d’images et d’informations, nous avons choisi de l’éprouver en abordant les précarités contemporaines.

Au-delà de l’évidente et douloureuse fragilité sociale, le précaire s’impose en effet aujourd’hui comme l’une des grandes polarités de l’imaginaire social européen en reformulation. Lorsque dans un sondage effectué en France en décembre 2007 plus de 50 % des habitants citent la précarité comme une de leurs angoisses principales, il nous semble en effet que ce qui est craint excède la seule paupérisation.

Pour être en mesure d’habiter le monde, d’agir sur le monde, il est nécessaire de comprendre les mécanismes de production de cette peur contemporaine. C’est à ce travail de (re)composition esthétique du social que sont invités ici artistes et philosophes disséminés en Europe.

Gdansk, Varsovie, Cologne, Milan, Palerme, Paris, Lyon et Grenoble sont les ancrages territoriaux de cette première étape.

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