Depuis plus d’une décennie, des feux d’une intensité extrême, les mégafeux se déclarent sur tous les continents, brûlants des surfaces chaque année plus grandes. Leur comportement imprévisible, leur intensité et leur vitesse de propagation les rendent incontrôlables. Conséquence de l’activité humaine, ils parcourent en toutes saisons des territoires devant lesquels nos imaginations sont défaillantes, détruisant toute vie sur leur passage, laissant des paysages dévastés et une population désorientée, partagée entre tristesse, culpabilité et colère.
Chaque année écoulée apporte des prévisions plus pessimistes quant à notre capacité à enrayer cette escalade.
Depuis 2019 Maryvonne Arnaud observe les conséquences du changement climatique, notamment ces méga-feux de forêts en Méditerranée, en Grèce, sur l’île d’Eubée et en Thrace dans le parc de Dadia-Lefkimi-Souffli en arpentant régulièrement ces mêmes territoires afin d’en saisir l’évolution.
Accompagner les résurgences Yves Citton (extrait)
En parcourant certains lieux de notre planète, Maryvonne Arnaud nous fait découvrir le passé en train de se faire – toujours visible, pas encore écrasé, pas encore compacté et enfoui. Les sols qu’elle déniche et qu’elle photographie sont encore à vif. Insolemment présents.
En photographiant les choses qu’elle trouve entre ses pieds, dans des lieux traumatisés, Maryvonne Arnaud semble avoir choisi une aventure solitaire. Pas de figure humaine dans ce journal des sols. Il n’y reste que des traces figées de présences suspendues, d’existences fossilisées. Des traces de pas dans la boue, profondément empreintes, que la pluie remplit d’eau sale. Des ossements d’animaux calcinés.
Quoi de plus solitaire que ces carapaces de tortues que les méga-feux laissent par centaines derrière leur passage ? Quoi de plus menaçant pour nos petits rêves de souveraineté individualiste ? Ces tortues portaient leur maison sur leur dos, croyant pouvoir aller partout en sécurité. Il leur suffisait de se retirer à l’intérieur de leur forteresse, d’en fermer la porte à tout intrus, et de se croire à l’abri. D’où peut-être le saisissement ressenti à la vue de ces carapaces calcinées jonchant le sol des forêts noircies de l’Eubée. Et si ces ossements gris sur fonds noircis traçaient à la surface des sols de notre présent les traumatismes de nos drames à venir, plutôt que les traces de nos vies passées ?
Ces sols cautérisés par des méga-feux montrent cependant tout autre chose que la perspective désespérante de nos effondrements à venir. La notion même d’effondrement nierait la persistance obstinée avec laquelle les sols photographiés par Maryvonne Arnaud font surface : loin de s’abîmer dans des affaissements sans fond, ils résistent à l’écroulement. Ils affirment une force qui n’a rien ni d’obscur ni de souterrain puisqu’elle porte à la lumière ce dont elle retient la chute.
La solitude de ces mondes traumatisés témoigne en réalité d’un inlassable pullulement des multitudes.
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